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Un peu d’anthropologie judéo-chrétienne
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Michel Garroté
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Jeudi 31 décembre 2009 – 14 Tevet 5770
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En ce dernier jour de l’année 2009, j’aimerais revenir sur l’un de mes dadas préférés : l’anthropologie judéo-chrétienne. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, nous croyons, dans notre communauté de blogues, à la société libre de culture judéo-chrétienne. Que nous soyons Juif (Rachel Franco), Chrétien (Daniel Zillevic et moi-même) ou Musulman réformateur (Ftouh Souhail, qui est une personne humaine à part entière et non pas un personnage inventé comme se l’imaginent certains), que nous soyons pratiquant ou non, croyant ou non, athée ou agnostique, nous défendons et nous valorisons la société libre de culture judéo-chrétienne. Pour ce qui me concerne, je donne au concept de « société libre de culture judéo-chrétienne » un contenu anthropologique.
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En clair, j’envisage l’anthropologie comme « L’étude à la fois théologique et philosophique de la personne humaine sous le regard de Dieu ». Pour les non pratiquants, les non croyants, les athées et les agnostiques, je pars du principe que ce n’est pas leur foi, mais leur conscience, qui leur permet de distinguer le bien du mal. Et je pars du principe que c’est pour cela que les non pratiquants, les non croyants, les athées et les agnostiques rejoignent notre combat sans se sentir pour autant harcelé par un quelconque prosélytisme juif ou chrétien au demeurant inexistant sur nos blogues. Cela étant dit, il peut m’arriver (à vrai dire c’est plutôt rare) de publier des documents « typiquement » catholiques qui nous éclairent tous sans que pour cela chacun se sente contraint d’y adhérer totalement.
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Ainsi en va-t-il pour la dernière Audience Générale de Benoît XVI en cette année civile 2009, audience qui a eu lieu hier 30 décembre. Benoît XVI s'y est penché sur le théologien du XIIe siècle Pierre Lombard. Cette audience, ou plutôt cette catéchèse de Benoît XVI comporte une valeur proprement anthropologique dont l’intérêt dépasse largement le cercle restreint des seuls catholiques pratiquants. En effet, cette catéchèse « anthropologique » permet à tout un chacun de mieux comprendre en quoi consiste la foi catholique.
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Rappelons, à cet égard, que dans le catholicisme, l’anthropologie consiste en « L’étude à la fois théologique et philosophique de la personne humaine sous le regard de Dieu ». Benoît XVI se livre ici à une lecture de l’œuvre de Pierre Lombard à la lumière du Livre de la Genèse et en citant notamment trois autres auteurs : Albert le Grand ; Bonaventure de Bagnorea ; et Thomas d'Aquin. Il est ici intéressant de constater, une fois encore, que le catholicisme a certes bâti sa propre théologie, mais en s’inspirant des saints qui eux même s’appuient très souvent sur le Premier Testament et, dans le cas présent, sur le Livre de la Genèse en particulier.
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Voici donc quelques extraits de la catéchèse de Benoît XVI : « Chers frères et sœurs, en cette dernière audience de l'année, je voudrais vous parler de Pierre Lombard : un théologien ayant vécu au XIIe siècle, qui a joui d'une grande notoriété, parce que son œuvre, intitulée les Sentences, fut adoptée comme manuel de théologie pendant de nombreux siècles.
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Même les plus grands théologiens du treizième siècle, Albert le Grand, Bonaventure de Bagnorea et Thomas d'Aquin, commencèrent leur activité académique en commentant les quatre livres des Sentences de Pierre Lombard, en les enrichissant par leurs réflexions. Le texte de Lombard fut le livre en usage dans toutes les écoles de théologie, jusqu'au XVIe siècle.
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Je désire souligner que la présentation organique de la foi est d'une exigence inaliénable. En effet, les vérités individuelles de la foi s'éclairent mutuellement et, dans leur vision totale et unitaire, apparaît l'harmonie du plan de salut de Dieu et la centralité du Mystère du Christ. Sur l'exemple de Pierre Lombard, j'invite tous les théologiens et les prêtres à toujours tenir présente la vision tout entière de la doctrine chrétienne contre les risques de fragmentation et de dévaluation des vérités individuelles d'aujourd'hui. Le Catéchisme de l'Église Catholique, comme aussi le Compendium de ce même Catéchisme, nous offrent vraiment ce tableau complet de la Révélation chrétienne, que nous devons accueillir avec foi et gratitude. Je voudrais donc encourager aussi les fidèles individuels et les communautés chrétiennes à profiter de ces outils pour connaître et approfondir les contenus de notre foi. Elle y apparaîtra ainsi comme une merveilleuse symphonie, qui nous parle de Dieu et de son amour et qui sollicite notre ferme adhésion et notre réponse active.
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Pour avoir une idée de l'intérêt que peut susciter encore aujourd'hui la lecture des Sentences de Pierre Lombard, je propose deux exemples. En s'inspirant du commentaire de Saint Augustin du livre de la Genèse, Pierre se demande pourquoi la création de la femme se produisit à partir d'une côte d'Adam et pas de sa tête ou de ses pieds. Et il explique : « Ce n'est ni une dominatrice qui a été formée ni une esclave de l'homme, mais sa compagne » (Sentences 3, 18, 3). Ensuite, toujours sur la base de l'enseignement patristique, il ajoute : « Dans cet acte, est représenté le mystère du Christ et de l'Église. Comme en effet la femme a été formée d'une côte d'Adam pendant que celui-ci dormait, l'Église est ainsi née des sacrements qui commencèrent à se répandre depuis le côté du Christ endormi sur la Croix, c'est-à-dire du sang et de l'eau, par lesquels nous sommes délivrés des souffrances et purifiés des péchés » (Sentences 3, 18, 4). Ce sont des réflexions profondes et valables encore aujourd'hui lorsque la théologie et la spiritualité du mariage chrétien approfondissent beaucoup l'analogie avec la relation sponsale entre le Christ et son Église.
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Dans un autre passage de son œuvre principale, Pierre Lombard, en traitant des mérites du Christ, se demande : « Pour quelle raison, alors, [le Christ] voulut souffrir et mourir, si ses vertus étaient déjà suffisantes pour lui obtenir tous les mérites ? ». Sa réponse est incisive et efficace : « Pour toi, pas pour lui-même ! ». Ensuite il continue par une autre question et une autre réponse, qui semblent reproduire les discussions qui se tenaient pendant les leçons des maîtres de théologie du Moyen âge : « Et dans quel sens il souffrit et mourut pour moi ? Pour que sa passion et sa mort soient pour toi un exemple et une cause. Un exemple de vertu et d'humilité, cause de gloire et de liberté ; exemple donné de Dieu obéissant jusqu'à la mort ; cause de ta libération et de ta béatitude » (Sentences 3, 18, 5).
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Parmi les contributions les plus importantes offertes par Pierre Lombard à l'histoire de la théologie, je voudrais rappeler ses développements sur les sacrements, dont il a donné une définition je dirais, définitive : « Il est dit sacrement au sens propre ce qui est signe de la grâce de Dieu et forme visible d'une grâce invisible, de manière telle à en porter l'image et en être une cause » (4, 1, 4). Par cette définition Pierre Lombard cueille l'essence des sacrements : ils sont cause de la grâce, ont la capacité de communiquer réellement la vie divine. Les théologiens suivants n'abandonneront plus cette vision et utiliseront même la distinction entre élément matériel et élément formel, introduite par le « Maître des Sentences », comme fut appelé Pierre Lombard. L'élément matériel est la réalité sensible et visible, l'élément formel sont les paroles prononcées par le ministre. Tous les deux sont essentiels pour une célébration complète et valide des sacrements : la matière, la réalité par laquelle le Seigneur nous touche visiblement et la parole qui donne le sens spirituel. Dans le Baptême, par exemple, l'élément matériel est l'eau qui se verse sur la tête de l'enfant et l'élément formel sont les mots « je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ». Lombard, de plus, clarifia que seuls les sacrements transmettent objectivement la grâce divine et qu'ils sont sept : le Baptême, la Confirmation, l'Eucharistie, la Pénitence, l’onction des malades, l'Ordre et le Mariage (Sentences 4, 2, 1).
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Chers frères et sœurs, il est important de reconnaître combien est précieuse et indispensable pour chaque chrétien la vie sacramentelle, dans laquelle le Seigneur, par cette matière, dans la communauté de l'Église, nous touche et nous transforme. Comme il est dit dans le Catéchisme de l'Église Catholique, les sacrements sont des « Forces qui sortent du Corps du Christ, toujours vivant et vivifiant, actions de l'Esprit Saint » (n. 1116). En cette année Sacerdotale que nous célébrons, j'exhorte les prêtres, surtout les ministres en charge des âmes, à avoir eux-mêmes, les premiers, une intense vie sacramentelle pour aider les fidèles. La célébration des sacrements doit être empreinte de dignité et de retenue et favoriser le recueillement personnel et la participation communautaire, le sens de la présence de Dieu et l'ardeur missionnaire. Les sacrements sont le grand trésor de l'Église et il revient à chacun de nous le devoir de les célébrer avec du fruit spirituel. En eux, un évènement toujours surprenant touche notre vie : le Christ, à travers des signes visibles, vient à notre rencontre, nous purifie, il nous transforme et il nous fait participer à son amitié divine.-Chers amis nous sommes arrivés à la fin de cette année et aux portes de la nouvelle année. Je vous souhaite que l'amitié de Notre Seigneur Jésus Christ vous accompagne chaque jour de cette année qui est sur le point de commencer. Puisse cette amitié du Christ être notre lumière et notre guide, en nous aidant à être des hommes de paix, de sa paix. Bonne année à vous tous ! » (Fin des extraits de la catéchèse de Benoît XVI du 30 décembre 2009).
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