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Michel Garroté
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Mardi 15 septembre 2009 - 26 Elul 5769
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J'avais promis aux lectrices et aux lecteurs d'écrire, un jour, un article sur l'encyclique sociale de Benoît XVI intitulée Caritas in Veritate. Si j'ai tardé à le faire, c'est que je voulais d'abord lire ce que les ecclésiastiques et les laïcs de l'Eglise catholique allaient nous raconter à ce propos. Et j'ai été bien servi, car ils furent - et ils sont encore - nombreux à prétendre nous expliquer ce que Benoît XVI a voulu nous dire. Dans le média franco-catholique 'La Nef', n°207 de septembre 2009, un certain Christophe Geffroy nous fait la leçon sur la doctrine sociale de Benoît XVI. Ou plutôt, devrais-je écrire, Sire Geffroy nous donne son interprétation - de l'interprétation de Benoît XVI (Caritas in Veritate) - de la doctrine sociale de l'Eglise catholique. Afin de se donner des airs de penseur au-dessus des clivages politiques, Sire Geoffroy écrit notamment (extrait) : "L’imposture est (...) de tirer d’un côté la doctrine sociale de l’Église, du côté du libéralisme ou du socialisme". Vous l'aurez compris : les imposteurs, ce sont les autres, pas Sire Geffroy. Au contraire, Sire Geffroy se situe au-delà du libéralisme et du socialisme.
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Mais hélas, quelques lignes plus loin, Sire Geffroy dévoile ses convictions en écrivant notamment (extraits) : "Aujourd’hui, cependant, le système capitaliste a franchi une étape supplémentaire qui est celle de la « financiarisation » de l’économie : très concrètement, le libéralisme ne défend pas la liberté de création de la petite entreprise à taille humaine dont les propriétaires – les « capitalistes » – étaient également les dirigeants ; plus il s’impose à l’échelle planétaire, plus les multinationales se développent et avalent les petites et moyennes entreprises. Ne subsistent peu à peu que de gigantesques multinationales aux activités multiples dont la seule logique est le rendement financier : qu’importent les hommes qui y travaillent, le métier et le savoir-faire d’une fabrique ou le lieu concerné, sans même parler d’un quelconque bien commun national dont elles se moquent éperdument, seul compte le taux de retour sur investissement et la rémunération des actionnaires. Ce libéralisme-là est une plaie dont la crise financière de l’an dernier montre où il peut nous mener si on le laisse continuer selon sa logique propre. Il est une plaie également car il contribue à augmenter l’écart, scandaleux déjà, entre pays riches et pays pauvres, sans même parler des disparités qui augmentent également au sein même de nos nations développées".
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Voilà. Je dois avouer que Sire Geffroy me semble avoir réussi l'exploit - stupéfiant - de se placer d'abord au-dessus des autres, au-delà du libéralisme et du socialisme ; mais pour ensuite reprendre à son compte l'idéologie crypto-marxiste qui était très prisée en milieu universitaire...il y a trente ans. Nous voilà donc bien avancés. On me dit que Sire Geffroy a travaillé dans l'industrie automobile pendant cinq ans. Je suppose que cela est jugé suffisant, en France, pour se livrer, en connaissance de cause, à la diatribe incendiaire, reproduite ci-dessus, contre les sociétés multinationales. A l'étranger en revanche, aux USA, en Allemagne ou en Suisse par exemple, le fait d'avoir travaillé dans l'industrie automobile pendant cinq ans ne vous autorise absolument pas à pontifier doctement sur le fonctionnement économique des sociétés multinationales et encore moins à répandre - comme le fait Sire Geffroy - des lieux communs crypto-marxistes en prenant pour base de travail une encyclique sociale de Benoît XVI. Dois-je ici ajouter que ce procédé typiquement franco-français m'irrite au plus haut degré ?
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J'écris "typiquement franco-français", car hors de France, les ecclésiastiques et les laïcs de l'Eglise catholique n'ont pas - à ce point - tiré prétexte d'une encyclique pour nous assener leurs propres interprétations, pétries de stéréotypes imbéciles sur l'économie contemporaine en général et sur les multinationales en particulier. Si je prends par exemple Théo Weigel, il s'est abstenu, malgré le fait que - contrairement à Sire Geffroy - il a toutes les compétences pour le faire, de nous ennuyer avec sa lecture - personnelle, théorique et subjective - de l'encyclique sociale susmentionnée. Je ne reprendrais pas ici en détail les fantasmagories de Sire Geffroy. J'écrirais simplement que les sociétés multinationales n'ont strictement rien à voir avec ce qu'en raconte le Sire déjà cité. Les multinationales, si l'on calcule leurs parts de marchés par groupes de produits et par pays, affrontent une redoutable concurrence locale et détiennent des parts de marchés qui n'ont rien à voir avec les élucubrations du Sire précité. En outre, elles effectuent des investissements industriels à long terme, ce qui contribue fortement à garantir la stabilité de l'emploi ainsi que l'indexation des salaires. Il y a trente ans, la gauche et les syndicats n'admettaient pas cela. Aujourd'hui, la gauche et les syndicats admettent cela. Mais le Sire en question, âgé de 50 ans, lui, plane dans une bulle vielle de trente ans. l'Eglise de France et ses anachronismes n'ont pas fini de nous déconcerter.
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